Révolte Donatiste
Une querelle d'origine théologique oppose en Afrique du
Nord donatistes et catholiques. Mais derrière cette
querelle, on entrevoit des oppositions de classes ; il
ne s'agit pas de violences désordonnées mais d'une agitation
sociale caractérisée qui trouve sa source dans les
couches les plus misérables de la population. Elles se trouvent
devant le grand problème tragique de toute l'antiquité
: celui des dettes. Elles veulent obtenir l'annulation
des créances et l'affranchissement des esclaves.
Dans ce conflit, l'évêque Optat et saint Augustin nous montrent que l'Église
s'est mise du côté des riches contre les pauvres.
La situation des campagnes vers 340, vue par Optat, premier évêque
catholique à entreprendre une polémique contre les donatistes :
« Lorsque ces individus... vagabondaient de lieu en lieu, et qu'Axido
et Fasir se faisaient donner par ces insensés le nom de chefs
des saints, personne ne pouvait être tranquille au
sujet de ses propriétés. Les reconnaissances de dettes
n'avaient plus aucune valeur ; aucun créancier ne
pouvait exiger le paiement de ce qui lui était dû. Tout le
monde était frappé de terreur par les lettres de ceux qui
se vantaient d'être les chefs des saints, et si l'on tardait
d'obéir à leurs injonctions, une bande en délire
s'abattait soudain et, précédée par la terreur qu'elle
inspirait, environnait de dangers les créanciers. Ainsi, ceux
qu'on aurait dû prier, en raison de leurs prêts, étaient contraints par
la crainte de la mort à s'humilier au rôle de suppliants.
Chacun se hâtait de renoncer aux créances même les plus
importantes, et l'on comptait comme un gain d'avoir
échappé à leurs coups. Les routes non plus n'étaient pas sûres
: des maîtres jetés bas de leur voiture coururent comme des
esclaves devant leurs propres valets assis à la place des maîtres.
Sur leur décision et leur ordre, la situation était renversée
entre les maîtres et les esclaves. »
Soixante ans plus tard (417), saint Augustin écrit au comte d'Afrique
Boniface, chargé de la répression du donatisme :
« Avant que les empereurs catholiques n'aient institué ces lois, la doctrine
de la paix et de l'unité du Christ se développait peu à peu, et selon
l'instruction, le désir ou les possibilités de chacun, on s'y ralliait même
dans leur parti, à une époque où pourtant, chez eux, des bandes
insensées d'individus sans foi ni loi troublaient le repos des innocents
pour des causes variées. Quel maître ne fut pas
alors contraint de craindre son esclave s'il allait se
mettre sous leur protection ? Qui donc osait seulement menacer un de ces
destructeurs, ou celui qui le protégeait ? Qui pouvait exiger le
remboursement de ceux qui pillaient ses celliers, ou de n'importe
quel autre débiteur s'il implorait leur secours et leur défense ? Par
crainte des bâtons, des incendies et d'une mort imminente, on
déchirait les actes d'achat des pires esclaves pour leur accorder la
liberté ; arrachées de force, les créances étaient
rendues aux débiteurs. Ceux qui avaient méprisé leurs rudes
avertissements étaient contraints par des coups plus rudes encore à faire ce
qu'ils leur enjoignaient. Les maisons des gens innocents
qui les avaient offensés étaient rasées ou incendiées. Des
chefs de famille d'une naissance honorable et d'une éducation raffinée
survécurent à peine à leurs coups ou, enchaînés à une meule,
furent contraints à coups de fouet de la faire tourner comme des
bêtes. »
Textes cités par J.-P. Brisson,
dans la revue La Pensée, n° 67,
mai-juin 1956.