Dans la Rome primitive, l'exploitation massive des esclaves n'est
pas encore le fait dominant. L'opposition fondamentale est
celle des patriciens et des plébéiens.
Au Ve siècle av. J.-C., les premiers nous apparaissent comme de
grands propriétaires fonciers, les seconds comme de petits
paysans, des artisans ou des commerçants.
Les patriciens, organisés en grandes familles, avaient
le monopole des fonctions politiques et de la justice.
Cependant, pour soutenir les guerres perpétuelles qu'ils
livraient à leurs voisins, ils durent faire appel aux plébéiens.
Ces derniers ne tardèrent pas à leur poser des conditions.
« Tandis que la guerre avec les Volsques [ancien peuple de l'Italie,
établi au sud du Latium] était imminente, la cité était en
guerre avec elle-même et en proie à une haine
intestine entre sénateurs et plébéiens, dont la principale
cause était l'esclavage pour dettes.
On s'indignait de défendre au dehors la liberté et
l'empire et d'avoir au dedans ses propres
concitoyens pour tyrans et pour oppresseurs. La
guerre était plus sûre que la paix, les ennemis moins menaçants que
les compatriotes pour la liberté de la plèbe. »
« Le mécontentement se propageait déjà de lui-même quand une
infortune scandaleuse fit éclater l'incendie. Un vieillard,
portant les marques de toutes ses souffrances, s'élança sur le forum ;
la crasse couvrait ses vêtements ; plus hideux encore était l'aspect
pâle et maigre de son corps épuisé ; en outre, la longueur de sa barbe
et de ses cheveux lui donnait un air sauvage. On le reconnaissait
pourtant, tout affreux qu'il était ; il avait, disait-on, commandé une
centurie, et on énumérait ses brillants états de service, tout en le
plaignant...
... Il dit que, pendant qu'il faisait campagne contre les Sabins [peuple
samnite établi au voisinage immédiat de Rome], les pillards avaient
brûlé sa ferme... qu'au milieu de ses revers, on lui avait réclamé ses
impôts, et qu'il avait emprunté. Cette dette, grossie des intérêts, lui
avait fait perdre d'abord la terre de son père... et son
créancier l'avait jeté, non dans l'esclavage, mais dans un cachot et
dans la chambre de torture. Et il montrait sur son dos
d'horribles marques de coups toutes fraîches. À cette vue et à
ces mots, des cris violents s'élèvent. L'agitation ne se cantonne plus
au forum, mais s'étend partout dans la ville. Les
insolvables, portant ou non leurs chaînes, se répandent dans toutes
les rues... pas un coin où des volontaires ne se joignent à
l'émeute ; partout, dans toutes les rues, des bandes hurlantes
courent vers le forum... On réclame, sur le ton de
la menace, plutôt que de la prière, la convocation du Sénat
[Assemblée des chefs des familles patriciennes]. On entoure la curie
[Salle du Sénat] pour contrôler et régler soi-même les
délibérations officielles. »
Tite-Live, Histoire romaine, liv. 11, XXIII. (Traduction G. Baillet)
Lors du soulèvement de la plèbe, les patriciens hésitent sur la
conduite à tenir. Le consul Appius voulait employer la
manière forte : « Après une ou deux arrestations, tout
rentrerait dans le calme. »
Servilius, au contraire, voulait fléchir la rébellion au
lieu de la briser : « c'était plus sûr et surtout plus
facile ». Là-dessus des cavaliers latins accourent, en annonçant
que les Volsques sont entrés en compagne.
« À cette nouvelle, tant la nation était coupée en deux par la
discorde, l'impression fut bien différente chez les patriciens et dans
la plèbe. Les plébéiens étaient transportés
de joie : « Ce sont, disaient-ils, les
dieux qui viennent punir l'orgueil des patriciens. »
Ils s'exhortaient l'un l'autre à ne pas s'enrôler : « Périsse
tout le monde plutôt qu'eux seuls ; que les
sénateurs prennent du service ! Que les sénateurs prennent
les armes ! Que les dangers de la guerre soient pour ceux à qui
elle profite ! »
Cependant, le Sénat, accablé... supplie le consul
Servilius, dont les idées étaient plus démocratiques, de tirer
l'État des menaçants périls qui l'assiègent. Alors le consul
lève la séance et se présente devant le peuple assemblé. Il lui
montre que le Sénat est préoccupé des intérêts de la plèbe ;
« mais ce débat sur une classe - d'ailleurs la
plus considérable - mais enfin sur une classe seulement de
citoyens, a été interrompu par un danger que court tout
l'État ; il est impossible quand l'ennemi est presque
aux portes, de rien faire passer avant la guerre ; en
eût-on même le loisir, ce ne serait ni honorable pour la plèbe
de se faire payer d'abord avant de prendre les armes pour la patrie,
ni très seyant au Sénat de remédier à la détresse des citoyens par
crainte plutôt que par bienveillance, un peu plus tard »...
... Après la défaite des Aurunces [peuple d'origine osque, établi au
sud-est du Latium, autour de Minturnes], les Romains comptaient sur la
parole du consul et sur la bonne foi du Sénat quand Appius...
se mit à prononcer des sentences aussi dures que possible en
matière de dettes, rendant par séries les anciens
insolvables aux chaînes de leurs créanciers et en
mettant même sans cesse de nouveaux aux fers. Quand c'étaient
d'anciens combattants, ils en appelaient à son collègue. Un
rassemblement se faisait devant Servilius ; ils lui rappelaient ses
promesses ; ils lui représentaient leurs états de service,
leurs blessures...
Malgré son émotion, le consul, dans la circonstance, était obligé de se
tenir sur la réserve, tant son collègue et tout le parti de la noblesse
s'étaient jetés dans l'opposition. En gardant ainsi la
neutralité, il n'évita pas la rancune du peuple,
sans gagner pour cela la faveur du Sénat : au Sénat,
il passait pour un consul sans énergie et pour un
intrigant ; dans la plèbe, pour un
fourbe, et on ne tarda pas à avoir la preuve qu'il
était aussi impopulaire qu'Appius. »
« Alors la plèbe, ne sachant ce qu'elle devait
attendre des nouveaux consuls, tint des réunions la nuit,
partie aux Esquilies [quartier populaire construit sur l'Esquilin, l'une
des sept collines de Rome], partie sur l'Aventin [l'une des sept
collines, située au sud-ouest de la ville, et entièrement peuplée de
plébéiens] pour éviter de prendre au forum des décisions
improvisées et confuses et de toujours marcher sans but et au hasard.
Les consuls, voyant là un danger, d'ailleurs réel, font
un rapport au Sénat... et le Sénat leur enjoint de faire les
enrôlements avec la dernière énergie : « c'est l'inaction qui cause les
désordres populaires ». Les consuls lèvent la séance et montent sur leur
tribunal ; ils font l'appel des jeunes gens. Pas
un ne répond à l'appel de son nom ; et la foule,
les enveloppant, prend l'allure d'une assemblée pour déclarer
« qu'on ne se moquera pas plus longtemps de la plèbe ;
on ne trouvera plus un seul soldat si l'État ne tient pas ses
engagements ; il faut rendre la liberté à chaque
individu avant de lui donner des armes ; ils veulent
combattre pour leur patrie, pour leurs concitoyens,
et non pour leurs maîtres. »
Tite-Live, Histoire romaine, liv. II, XXVIII. (Traduction G. Baillet)
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