LA GRANDE JACQUERIE (1358)

LES CAUSES ET LES DÉBUTS
LA LUTTE ET LA RÉPRESSION

Le célèbre chroniqueur Jean Froissart, roturier écrivant pour la noblesse, est très hostile aux " Jacques ", et même partial envers eux. On ne trouve aucun plaidoyer en leur faveur dans les écrits du temps. Nous ne les connaissons que par leurs ennemis.


LES CAUSES ET LES DÉBUTS


"Aucunes gens des villes champêtres, sans chef, s'assemblèrent en Beauvoisis ; et ne furent mie cent hommes les premiers ; et dirent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, honnissaient et trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien qui tous les détruirait. Et chacun d'eux dit : " Il dit vrai ! il dit vrai ! honni soit celui par qui il demeurera que tous les gentilshommes ne soient détruits. "

Lors se assemblèrent et s'en allèrent, sans autre conseil et sans nulles armures, fors que de bâtons ferrés et de couteaux, en la maison d'un chevalier qui près de là demeurait. Si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfants, petits et grands, et mirent le feu à la maison... Ainsi firent-ils en plusieurs châteaux et bonnes maisons. Et multiplièrent tant qu'ils furent bien six mille ; et partout là où ils venaient leur nombre croissait, car chacun de leur semblance les suivait. Si que chacun chevalier, dames et écuyers, leurs femmes et leurs enfants, les fuyaient; et emportaient les dames et les demoiselles leurs enfants dix ou vingt lieues de loin, où ils se pouvaient garantir; et laissaient leurs maisons toutes vagues et leur avoir dedans; et ces méchants gens assemblés sans chef et sans armures volaient et brûlaient tout, et tuaient... sans pitié et sans merci, ainsi comme chiens enragés. Certes, oncques n'advint entre Chrétiens et Sarrasins telle forcenerie que ces gens faisaient, ni qui firent plus de maux et de plus vilains faits, et tels que créature ne devrait oser penser, aviser ni regarder ; et celui qui plus en faisait était le plus prisé et le plus grand maître entre eux. ... Et avaient fait un roi entre eux qui était, si comme on disait adonc, de Clermont en Beauvoisis, et l'élurent le pire des mauvais ; et ce roi on l'appelait Jacques Bonhomme. Ces méchants gens brûlèrent au pays de Beauvoisis et environ Corbie et Amiens et Montdidier plus de 60 bonnes maisons et forts châteaux ; et si Dieu n'y eût mis remède par sa grâce, le meschef fût si multiplié que toutes communautés eussent été détruites, sainte église après, et toutes riches gens, par tous pays, car tout en telle manière si faite gens faisaient en pays de Brie et de Perthois. Et convint toutes les dames et demoiselles du pays et les chevaliers et les écuyers qui pouvaient leur échapper, affuir à Meaux en Brie, l'un après l'autre, en pures leurs cotes, ainsi comme elles pouvaient ; aussi bien la duchesse de Normandie et la duchesse d'Orléans, et foison de hautes dames, comme autres, si elles voulaient se garder d'être... tuées et meurtries. Tout en semblable manière si faite gens se maintenaient entre Paris et Noyon, et entre Paris et Soissons, et Ham en Vermandois et par toute la terre de Coucy. Là étaient les grands malfaiteurs. Et ravagèrent, que entre la terre de Coucy, que entre la comté de Valois, que en l'évêché de Laon, de Soissons et de Noyon, plus de cent châteaux et bonnes maisons de chevaliers et écuyers ; et tuaient et volaient ce que ils trouvaient. Mais Dieu par sa grâce y mit tel remède de quoi on le doit bien regrâcier... "
 

Froissart, Chroniques, livre premier, chap. LXV. Ed. Buchon, f.1, p. 375.


LA LUTTE ET LA RÉPRESSION


" Alors les gentilshommes vinrent chercher refuge auprès du roi de Navarre et lui demandèrent d'apporter remède à leurs peines et que ces Jacques soient attaqués, déconfits et mis à mort.

Ils lui dirent :

" Sire vous êtes le plus gentilhomme du monde : ne souffrez pas que noblesse ne soit mise à néant. Si cette espèce qui se dit Jacques dure longtemps et que les bonnes villes viennent leur porter aide, ils mettront la noblesse à néant, et détruiront tout. "

Lors, Charles, roi de Navarre fut d'accord pour les aider contre les Jacques. Et là lui promirent les gentilshommes que jamais ils ne seraient contre lui, et lui en reçut la promesse.

Les Jacques surent bien que le roi de Navarre et les gentilshommes venaient sur eux.

Guillaume Charles et L'Hospitalier rangèrent les Jacques et en firent deux batailles. Et en chacune mirent 4.000 hommes. Et ceux qui avaient arcs et arbalètes, ils les mirent en front aux premiers rangs et par-devant eux mirent leur charroi. Ils firent une autre bataille de leurs gens à cheval où ils mirent bien 600 hommes dont le plus grand nombre était armé et furent ainsi rangés durant deux jours.

Le roi de Navarre demanda une trêve au chef des Jacques parce qu'il voulait lui parler. Guillaume Charles y alla simplement, car il ne demanda ni otage ni quoi que ce soit et vint au roi de Navarre. Ainsi les Jacques furent sans chef.

Robert Sercot et toute sa bataille mit les Jacques en travers et leur rompit un de leurs corps à force de glaive... Ainsi les Jacques furent tout éperdus du fait de leur capitaine qui n'était point avec eux et ils furent par eux-mêmes tout déconfits et les Anglais en mirent beaucoup à mort.

Après que les Jacques furent déconfits le roi de Navarre alla à Clermont en Beauvaisis et là il fit décapiter le capitaine des Jacques.

Une troupe de gentilshommes, environ 300 glaives, qui venaient à l'aide du roi de Navarre, entendirent que les Jacques étaient déconfits. Alors ils dévalèrent à l'extrémité du Beauvaisis où se trouvaient quelques troupes de Jacques et ils assemblèrent les gentilshommes normands et ceux de la région d'Amiens et du pays de Bray. Et ils trouvèrent près de Poiz une troupe de Jacques qui se rendaient à la grande troupe que Guillaume Charles commandait. Par les gentilshommes susdits, tous furent mis à mort, sans merci, soit plus de 1300. Puis lesdits gentilshommes repartirent à cheval et ils combattirent entre Roy et Gerberay une autre troupe de Jacques et là en occirent bien 800 ; et en un moûtier en brûlèrent environ 300. Puis ils vinrent à Gaillefontaine où Madame de Valois se trouvait et ils lui firent beaucoup d'ennuis parce qu'elle avait donné des vivres aux Jacques, à ce qu'ils disaient. Et là ils occirent environ 1 000 paysans.

Ainsi les Jacques furent détruits et déconfits en Beauvoisis et dans les pays d'environ. En Brie le comte de Roussy en occit une grande foison et les fit pendre à leur porte.

Ainsi furent-ils tous détruits. "
 

Continuateur de Guillaume de Nangis, cité et traduit par Maxime Roux,
Textes relatifs à la civilisation du Moyen Âge, p. 174-175, Nathan, 1950.

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