Une jacquerie très violente éclate dans la Cornouaille. Provoquée par les édits du roi, elle se retourne contre la noblesse du pays. Les habitants de 14 paroisses, réunis le 2 juillet 1675 à N.-D. de la Tréminou près de Pont-l'Abbé, rédigent un Code paysan en 14 articles, qui préfigure les cahiers de doléances de 1789.
« Article 4. - Que les droits de champart et corvée, prétendus par lesdits gentilshommes, seront abolis... »
L'article 5, fort curieux, traduit un besoin d'égalité entre noblesse et paysannerie:
« Que pour confirmer la paix et la concorde entre les gentilshommes et nobles habitants [c.a.d. les paysans] desdites paroisses, il se fera des mariages entre eux, à condition que les filles nobles choisiront leurs maris de condition commune, qu'elles anobliront et leur postérité, qui partagera également entre eux (sic) les biens de leurs successions. »
L'article 6 a permis à certains historiens de ridiculiser le code, en faisant croire que les paysans regardaient la gabelle comme un personnage réel. Madame de Sévigné aussi ironise là-dessus (24 juillet 1675). Plaisanterie d'aristocrate. Mais un historien breton y voit peut-être une figure de style un peu hardie ».
« Il est défendu, à peine d'être passé par la fourche, de donner retraite à la gabelle et à ses enfants, et de leur fournir à manger ni aucune commodité ; mais au contraire, il est enjoint de tirer sur elle comme sur un chien enragé.
Article 7. - Qu'il ne se lèvera pour tout droit que cent sols par barrique de vin horret (non de Bretagne) et un écu pour celui du cru de la province, à condition que les hôtes et cabaretiers ne pourront vendre l'un que cinq sols et l'autre trois sols la pinte. »
L'article 9 préfigure l'une des dispositions essentielles de la Constitution civile du Clergé :
« Que les recteurs, curés et prêtres seront gagés (payés) pour le service de leurs paroissiens, sans qu'ils puissent prétendre aucun droit de dîme, novale, ni aucun autre salaire pour toutes leurs fonctions curiales. »
L'article 10 demande une réforme de la justice.
« Que la justice sera exercée par gens capables, choisis par les nobles habitants [c.a.d. les paysans] qui seront gagés avec (ainsi que) leurs greffiers sans qu'ils puissent prétendre rien des parties pour leurs vacations, sous peine de punitions; - et que le papier timbré sera en exécration à eux et à leur postérité... tous les actes qui ont été passés (sur papier timbré) seront écrits en autre papier et seront par après brûlés pour en effacer entièrement la mémoire. [Un autre, code Il Pe sa vad " (ce qui est bien) rédigé également à Pont-l'Abbé demande (article 9) que les juges devront désormais « expédier gratis toute sentence d'audience et juger selon le sens commun et non la chicane ». (Cité par A. Dupouy, Histoire de Bretagne, Boivin.)] »
L'article 11 proteste contre l'abus du droit de chasse des seigneurs:
« Que la chasse sera défendue à qui que ce soit depuis le premier jour de mars jusqu'à la mi-septembre, et que fuies et colombiers seront rasés, et permis de tirer sur les pigeons en campagne.
Article 12. - Qu'il sera loisible d'aller aux moulins que l'on voudra [suppression de l'obligation d'aller au moulin banal (seigneurial)], et que les meuniers seront contraints de rendre la farine au poids du blé. »
LA RÉPRESSION DE LA RÉVOLTE DU PAPIER TIMBRÉ (1675) VUE PAR MADAME DE SÉVIGNÉ
[En 1675, des soulèvements éclatent à plusieurs reprises, à Rennes, à Guingamp contre l'établissement de taxes nouvelles, notamment l'obligation du papier timbré pour divers actes. En Basse-Bretagne, c'est une vraie jacquerie dirigée non seulement contre les agents du fisc, mais aussi contre les seigneurs, par les Bonnets Rouges et les Bonnets Bleus. La répression est sévère et cruelle.]
« 24 septembre 1675. - Nos pauvres Bas-Bretons, à ce que je viens d'apprendre s'attroupent quarante, cinquante dans les champs ; et dès qu'ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea-culpa : c'est le seul mot de français qu'ils sachent... on ne laisse pas de pendre ces pauvres Bas-Bretons; ils demandent à boire, du tabac et qu'on les dépêche...
16 octobre1675. - M. de Chaulnes est à Rennes avec... 4.000 hommes ; on croit qu'il y aura bien de la penderie. M. de Chaulnes y a été reçu comme le Roi; mais comme c'était la crainte qui a fait changer leur langage, M. de Chaulnes n'oublie point toutes les injures qu'on lui a dites, dont la plus douce et la plus familière était gros cochon sans compter les pierres dans sa maison et dans son jardin et des menaces... c'est cela qu'on va punir.
20 octobre1675. - Cette province est dans une grande désolation. M. de Chaulnes a ôté le Parlement de Rennes pour punir la ville ; ces messieurs sont allés à Vannes. Les mutins de Rennes se sont sauvés, il y a longtemps ; ainsi les bons pâtiront pour les méchants ; mais je trouve tout fort bon pourvu que les 4.000 hommes de guerre qui sont à Rennes ne m'empêchent point de me promener dans mes bois qui sont d'une hauteur et d'une beauté merveilleuses.
27 octobre1675. - Cette province a grand tort, mais elle est rudement punie... on a pris à l'aventure 25 ou 30 hommes que l'on va pendre.
30 octobre1675. - Voulez-vous savoir des nouvelles de Rennes ? Il y a toujours 5.000 hommes, car il en est venu encore de Nantes. On a fait une taxe de cent mille écus sur le bourgeois ; et si on ne les trouve pas dans les 24 heures, elle sera doublée et exigible par les soldats. On a chassé et banni toute une grande rue, et défendu de les recueillir sous peine de la vie, de sorte qu'on voyait tous ces misérables... errer en pleurs au sortir de la ville, sans savoir où aller, sans avoir de nourriture, ni de quoi se coucher. On roua avant-hier un violon qui avait commencé la danse et la pillerie du papier timbré ; il a été écartelé après sa mort et ses quatre quartiers exposés aux quatre coins de la ville... On a pris 60 bourgeois, on commence demain à pendre. Cette province est un bel exemple pour les autres et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernants, de ne leur point dire d'injures et de ne point jeter des pierres dans leur jardin...
13 novembre 1675. - On roua hier tout vif à Rennes un homme qui confesse avoir eu le dessein de le tuer [le duc de Chaulnes] ; c'est le dixième qui a eu ce dessein ; pour celui-ci, il méritait bien la mort.
24 novembre 1675. - Vous me parlez bien plaisamment de nos misères ; nous ne sommes plus si roués : un en huit jours seulement pour entretenir la justice. Il est vrai que la penderie me paraît maintenant un rafraîchissement : j'ai une tout autre idée de la justice depuis que je suis dans ce pays ; vos galériens me paraissent une société d'honnêtes gens qui se sont retirés du monde pour mener une vie douce. Nous vous en avons bien envoyé par centaines ; ceux qui sont demeurés sont plus malheureux que ceux-là.
11 décembre 1675. - Venons aux malheurs de cette province : tout y est plein de gens de guerre... et il s'en écarte qui vont chez les paysans, les volent, les dépouillent.
20 décembre 1675. - Il y a dix à douze mille hommes de guerre qui vivent comme s'ils étaient encore au-delà du Rhin.
5 janvier 1676. - Pour nos soldats, ils s'amusent à voler ; ils mirent l'autre jour un petit enfant à la broche... »
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